mercredi 29 mars 2017

Entre amour et poésie comment se place le traducteur?

Ce corpus, présenté à un traducteur littéraire, est composé de quatre poèmes d’époques et d’auteurs différents. En effet, « A Fanny » est une poésie composée de cinq sizains et publiée à titre posthume d’André Chénier, poète précurseur du romantisme, en 1819.  Ensuite, le deuxième texte est un sonnet s’intitulant « Causerie », écrit par Charles Baudelaire, célèbre poète se trouvant entre le romantisme et le symbolisme. Ce sonnet est issu du recueil Les Fleurs du Mal qui suscita de nombreuses controverses en 1857. Puis, le poème en prose de Louis Aragon, auteur engagé, « Le rendez-vous perpétuel » nous est proposé. Il est extrait du recueil Amours publié en 1947 et appartenant au courant surréaliste. Enfin, le dernier poème est un sonnet régulier de Louise Labé, poétesse humaniste. Il s’intitule « Sonnet II » et est issu des Œuvres publié en 1555.

Le traducteur va établir un rapport entre ces différentes écritures poétiques qui traitent de l’Amour et des sentiments contradictoires qu’il fait naître. Dans un premier temps, nous évoquerons les procédés qui suscitent la joie, et ensuite, ceux qui suscitent la souffrance du poète. La traduction devra alors retranscrire cette dualité.

Tout d’abord, les poèmes, à traduire, présentés dans ce corpus sont lyriques, et sont l’aboutissement des sentiments amoureux des poètes. La comparaison permet à l’auteur de faire ressentir ces sentiments au lecteur. En effet, Baudelaire compare les yeux d’une femme à « des fêtes » v.13 et « du feu », ce qui rend le regard de la femme heureux et festif. De plus, on note de nombreuses métaphores filées, comme dans le poème d’Aragon. L’amour est comparé à un souffle omniprésent pour le poète, « foulée », « vent », « s’envole ». Elsa est également comparée à la mer à travers les termes « emporte », « navires » et « plongeurs », elle semble être bienfaisante et symbolise un élément vital pour l’auteur. Chénier utilise également la métaphore, en effet, la femme est assimilée au paysage. Le vers 18 le souligne « ton aspect […] en ces lieux » ou encore la description de cette femme qui a lieu uniquement de ce paysage « sur ce gazon assise »v. 22. La être féminin est également idéalisée et comparée à un objet divin à travers les termes « divins le ciel » v.4 et « sage » v.11, elle est le symbole de la douceur, « miel »v.11. Ensuite, les poètes usent de l’anaphore pour souligner la joie et l’exaltation apportées par cet amour. En effet, Louise Labé utilise l’anaphore vocative « Ô » pour énumérer les qualités de son amant dans le premier quatrain. Chez Aragon, on comprend que l’amour est universel à travers le parallélisme de construction au vers 17 et 18. Il utilise également l’anaphore « c’est toi » qui connote de l’importance de cette femme aimée dans sa vie et l’omniprésence de cette amour. La syntaxe souligne également la force des sentiments et l’exaltation, comme les nombreuses exclamations des poèmes de Baudelaire, Labé et Chénier. D’autre part, chez Aragon, cet enthousiasme est transcrit par de longues phrases et accumulations de noms juxtaposés. Enfin, le mélange des sens appelé synesthésie, montre l’harmonie parfaite crée par l’amour. Elle est très présente chez Baudelaire, à travers les termes « clair et rose »v.1 qui évoquent la vue, les mots « gorge nue », « lèvre » se rapportent au touché et le « parfum » à l’odorat. On peut dire que les poètes usent de nombreux procédés pour illustrer la joie procurée par leur amour, le traducteur transpose ces procédés dans une autre langue. Mais cet amour porte la marque d’une dualité entre douleur et gaieté, qu'il faut retranscrire dans la traduction.

Dans un second temps, les poèmes reflètent la souffrance du poète, que le traducteur doit souligner, par rapport à cet amour souvent éphémère et idéalisé. En effet, les antithèses, comme « heureux mortel » du poème A Fanny ou « palais flétri » de Causerie, révèlent la dualité qui est présente chez dans cet amour. On découvre un aspect négatif de l’amour qui consume l’auteur amoureux. La personne du poète est désignée à travers le pronom « je » auquel sont associés des champs lexicaux péjoratifs comme celui de l’errance chez Chénier, ou encore celui du désespoir chez Labé. Baudelaire procède à une métamorphose de la femme tout d’abord idéalisée et puis, animalisée en une bête assoiffée d’amour, « griffe et dent féroce de la femme ». Cependant, le poète n’est plus capable d’aimer. Ce sentiment est renforcé par la syntaxe des vers, notamment l’enjambement au vers 6 qui souligne le terme saccagé. On retrouve une syntaxe particulière chez Chénier. En effet, il y a très peu de ponctuation ce qui peut marquer le désespoir du poète mais aussi une course pour rattraper l’être aimé. L’auteur est à la poursuite de cet amour, il semble suivre la femme sans pouvoir la rattraper, cet aspect est renforcé par les allitérations en « s » qui connote une fuite de l’amour, trop court. On retrouve des allitérations péjoratives chez Baudelaire, et également à la rime comme le son « ame », « er » ou « ose » qui semblent refléter un mal-être du poète, amant. De plus, l’énumération au vers 10 renforce cet image tu poète qui se tue dans cet amour. On retrouve également l’anaphore vocative « ô » chez Labé associée aux termes péjoratifs ce qui crée un parallèle entre le désespoir et la passion amoureuse.  Enfin, cette dualité entre joie et souffrance provoquée par l’amour peut être résumée par l’opposition entre différents champs lexicaux de la beauté et nature et ceux de l’errance et du désespoir. Le traducteur devient lui-même poète mais ne doit changer en aucun cas changer la nature du texte.

 En conclusion, à travers la poésie lyrique les poètes évoquent leurs sentiments. Ici, il s’agit de la dualité entre joie et souffrance suscitée par leurs amours passionnels. Cet aspect est retranscrit par des procédés stylistiques qui apportent chacun une nouvelle dimension au poème qui sera traduit pour être diffusé dans le monde entier.

mardi 21 mars 2017

Entre traduction et littérature



La littérature comprend un monde vaste et diversifié d’œuvres dont les genres et les styles sont tous autant particuliers et intéressants les uns que les autres. De la poésie, au roman en passant par le théâtre, les ouvrages littéraires ont peu en commun à part peut-être le fait qu’ils sont tous composés de mots. Et à vrai dire, la prose elle-même varie avec les auteurs, la langue et la culture. 

En effet, chaque phrase et mot de l’écrivain se réfère à une habitude de penser, une familiarité avec certains sujets qui ne sont pas évidentes pour un lecteur étranger.  La compréhension des œuvres littéraires et donc leur traduction font alors appel à des connaissances toutes particulières. 

C’est là qu’entre en jeu le concept de TRANSCREATION. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre rigueur et création pour ancrer l’ouvrage dans une nouvelle langue et culture. Le traducteur et l’agence de traduction littéraire vont alors personnaliser leur service et en faisant preuve de créativité diffuser l’œuvre littéraire dans le monde entier.

dimanche 12 mars 2017

L'anthologie des yeux du traducteur poète

Cette anthologie, traduite en italien par le traducteur littéraire Elisabetta Bertinotti, regroupe une dizaine de poésies sur le thème fascinant des yeux. Cette thématique peut sembler surprenante et peu intéressante, mais au fil de la lecture et de la réflexion on se rend compte que les yeux sont le lien entre le monde extérieur et nous-même. En effet, « les yeux sont le miroir de l’âme », ils symbolisent dans bien des croyances le savoir, l’espoir ou encore le divin. On pense bien sûr au Troisième Œil des enseignements asiatiques comme le Bouddhisme et le Taoïsme. Il représente la « vue de l’esprit » qui permet de lever le voile de l’illusion et de voir la vraie nature de l’esprit. Cependant, l’œil divin existe aussi dans le Christianisme. Le Saint Esprit est souvent représenté comme un œil dans un triangle, symbolisant l’ubiquité de Dieux. Ainsi, l’œil s’apparente à un monde supérieur à celui humain. Ce thème du divin est repris par Coppée dans son poème Les yeux de la femme. En effet, à travers ces vers libres inspirés de la Genèse, le poète propose une image de la femme comme fruit de la création divine, dont la plus grande perfection est dans le regard.

A vrai dire, l’œil n’est qu’un organe complexe, destiné à la réception des influx visuels. C’est alors lui qui nous permet de voir le monde tel que nous le percevons. Il s’agit du sens le plus développé chez l’Homme, monopolisant et contrôlant les autres sens. En effet, certains poètes décrivent à travers les yeux de la femme leur corps tout entier comme le poème de Charles Cros, À Mlle S. de L. C, où les yeux monopolisent la description, comparés à des « saphirs » qui rayonnent sur tout le corps féminin. Ainsi, les yeux nous semblent d’une importance capitale, il nous serait impensable de pouvoir appréhender le monde sans nos yeux. Les poètes ont alors repris ce thème à leur compte depuis bien des siècles. A travers des sonnets mais aussi des vers libres, ils soulignent la beauté de l’œil, notamment celui féminin mais aussi son aspect énigmatique. « L'homme a des yeux pour voir, la femme en a pour être vus. », ici, Adolphe d'Houdetot démontre le double aspect de l’œil. Il s’agit d’un thème inspirant qui intrigue car même si on reconnait l’importance cruciale des yeux dans l’expression des sentiments, on ne peut pas voir nos propres yeux. Ainsi, ils nous trahissent, comme le souligne Louise Labbé, dans son poème presque autobiographique, Tant que mes yeux pourront larmes épandre. Ce poème a un intérêt tout particulier car il nous permet d’avoir un point de vue féminin (même si l’existence de la poète est contestée), sur la question de l’œil et de la relation amoureuse.

L’œil ne se résume pas à la perception du monde, il aussi s’agit d’un regard, un tout qui nous caractérise. Tout comme on peut reconnaître une personne au son de sa voix, on peut la reconnaître à son regard. Ainsi, dans leurs vers les poètes décrivent le regard comme un trait de caractère palpable. En effet, Baudelaire dans son poème Les yeux de Berthe personnifie les yeux en s’adressant à ces derniers comme à la femme. Ces yeux évoquent également une magie, un aspect enfantin, « mon enfant » répété plusieurs fois. Alors, les yeux et le regard serait la meilleure façon de caractériser l’être aimé. Théophile de Gautier, à travers son sonnet A deux beau yeux, compare les yeux à des pierres précieuses comme Charles Cros. Il s’agit d’un thème cher aux romantiques, les yeux sont des cristaux révélateurs de l’âme. Ils sont également le symbole d’un amour parfait. En effet, à travers six quatrains, Aragon résument les yeux de l’être aimé comme la perfection mais également le but de sa vie. Dans Les Yeux d’Esla, ils symbolisent le « paradis » d’Aragon, sa passion amoureuse.

Cependant, l’œil ne représentent pas uniquement la femme, l’amour ou encore la perfection. Il incarne également la vie et l’espoir. En effet, T.S Eliot dans son poème The Hollow Men (Les hommes creux, traduit par Pierre Leyris) dépeint un paysage dévasté où les hommes semblent perdus et déshumanisés. Les yeux ici représentent l’espoir et leur absence condamne les hommes à la mort. Ainsi, ces derniers deviennent aveugles, non pas par la vue, mais à force de voir les atrocités commises par la Première Guerre Mondiale. Le regard ici, représenté est celui de l’humanité, il s’agit d’un tout. Ainsi, les yeux évoquent un autre monde utopique où l’on pourrait vivre en harmonie. C’est également ce que suggère Eluard dans son poème Les yeux fertiles. Il commence par décrire la femme aimée par ses yeux qui au fil du poème nous permettent de voyager. Ces yeux énigmatiques sont ambigus car ils empêchent de poète de dormir mais l’obligent à rêver. Ainsi, le regard de cette femme inspire la liberté de l’esprit, cette liberté féminine dépeinte également par Eugène de La Croix de siècles plutôt.

Ainsi, le choix des poèmes de ce recueil ne laissent rien au hasard. Nous avons voulu retracer à travers les siècles l’évolution poétique de l’œil et du regard. A travers les siècles, on retrouve que l’œil garde son aspect lyrique et spirituel, mais il évolue également pour représenter un Tout et un Idéal par opposition au mal et la cruauté de l’homme. L’œil perd alors son aspect humain même s’il est porté par les femmes, ces dernières deviennent elles aussi une figure de la perfection.

Les illustrations accompagnants les poèmes, cherchent à faire un rapprochement et un lien entre les époques où l’on retrouve des problématiques communes comme la perte de l’être aimé, ici soulignée par la miniature de Charlotte Salomon et le poème de Louise Labbé, ou encore l’aspect envoutant des yeux évoqué par Aragon et dépeint des siècles plutôt par Léonard de Vinci. En effet, l’Art est un tout, les différents moyens d’expression artistique que sont l’écriture (la traduction) ou la peinture et même la musique se complètent. C’est pour cela que nous avons choisi une chanson de Corneille qui rappelle l’aspect indissociable de la poésie et la musique.

Enfin, cette anthologie représente un travail de recherche méticuleux et une volonté « d’ouvrir les yeux » du lecteur pour l’inciter à la découvrir la poésie et à la pousser encore plus loin la réflexion sur la question de l’Homme. Cette volonté qu’on tous les poètes depuis des siècles et dans le monde entier, de permettre aux hommes et aux femmes de s’instruire.

lundi 6 mars 2017

La traduction littéraire et 5 poèmes des Fleurs du Mal, Baudelaire, 1858

La traduction littéraire moderne requiert une connaissance pointue de la littérature. C’est pourquoi, je vous présente quelques poèmes des Fleurs du Mal, chef d’œuvre de la littérature française, comprenant 100 poèmes presque autobiographiques de Charles Baudelaire.

Le premier poème s’intitule Spleen LXII et fait partie de la première section du recueil : « Spleen et Idéal ». Il clôt la série des quatre Spleen et reprend le thème cher à Baudelaire du « Spleen », mot empreinté à l’anglais signifiant à cette époque, l’angoisse liée à la modernité. Ce qui fait le charme particulier de ce poème est l’évocation de ce monde affreux mais envoutant décrit par le poète. Cependant, ce poème reste objectif et universel. Comme le veut Baudelaire, le Spleen est empreint d’une « impersonnalité volontaire ». Cette poésie semble être une peinture du monde angoissé qui habite le cerveau de l’auteur. Les nombreuses comparaisons entre des concepts que l’Homme ne peut toucher tels que le « ciel » ou l’ « Espérance », et des objets du quotidiens comme un « couvercle » rendent le Spleen réel et palpable. De nombreux termes péjoratifs tels que « pourris » ou encore l’oxymore « jour noir », nous permettent de comprendre ces passages entre le monde extérieur et intérieur du poète. Ce dernier se transforme en une « vaste prison » qui ronge le poète. Enfin, le charme particulier du poème est dû à une peinture réaliste et précise de ce monde à l’intérieur de notre esprit où vivent nos espoirs et angoisses sans nom, ni réalité. Le poète réussit à poser des mots sur l’indicible.

Le deuxième poème s’intitule La mort des artistes, il clôt le recueil et le voyage poétique de Baudelaire. Ce qui fait le charme de ce sonnet est le mélange de la mort et de l’artiste. Baudelaire nous fait découvrir la réalité de l’artiste. Cet artiste semble être comparait au fou du Roi par les termes « grelots », « caricature ». Le poète en fait un portrait péjoratif à travers les noms « sanglots »et « damnés ». Le sonnet, emblème de la poésie classique, permet de souligner la grandeur du poète, mais finalement Baudelaire en conclut que plus il écrit plus il se perd. Ainsi, l’artiste devient un être fou en recherche de l’impossible, leur « Idole », la perfection. Pour clore son recueil, ce poème est alors une ultime péripétie poétique qui nous plonge vers l’inconnu et le nouveau à travers le thème d’une mort psychologique et un renouveau.

Le troisième poème s’intitule L’Horloge, ajout de l’édition de 1861. Ce dernier est composé de six quatrains, inspiré du poète Gautier. Ce qui fait le charme de ce poème est la personnification de l’Horloge et même du temps qui débute avec une interjection « Horloge ! ». De plus, le thème de ce poème est universel de par les termes en différentes langues. L’horloge devient une allégorie du temps qui passe et donc de l’angoisse de l’Homme à son égard. Ce poème est riche en exclamation ce qui interpelle le lecteur. Ainsi, Baudelaire reprend la thématique de la fuite du temps de façon réelle et intense.

Le quatrième poème est un sonnet intitulé La beauté faisant partie de la section « Le spleen et l’idéal » des Fleurs du Mal. Ce poème a pour thème la Muse et la Beauté. En effet, Baudelaire utilise la métaphore de la sculpture et de la matière tout comme dans le parnasse. La femme devient le guide de l’artiste. Le poète souligne l’importance de la muse mais également la difficulté de l’artiste à la comprendre et à retranscrire sa beauté fascinante. Dans, ce poème, la femme n’est citée que par des synecdoques comme « yeux ». Elle a un aspect universel et reposant, immobile comme la beauté des grands monuments. Ainsi, Baudelaire souligne l’importance de la muse et finalement attribue une place à la Femme dans la création artistique.

Le dernier poème, composé de seize distiques, s’intitule Abel et Caïen et fait partie de la section « Révolte » du recueil. Il fait référence à l’épisode biblique où Caïen tue Abel par jalousie et fut punit. Dans ce poème, on observe pour les douze premiers distiques deux anaphores, sa forme particulaire crée son charme. Ensuite, Baudelaire utilise de nombreux termes péjoratifs comme « meurs », « supplice » concernant Caïen. Ce qui suscite la pitié du lecteur, alors que Abel est décrit comme profitant de la vie au dépende de son frère, « chauffe ton ventre » contre « tremble de froid » pour Caïen. Cette opposition crée alors une inversion des valeurs confirmée au dernier distique. Après la justification de l’acte de Caïen, Baudelaire le place au Cieux à la place de Dieu. Ainsi, l’inversion des valeurs bibliques permet un questionnement de nos valeurs et souligne une volonté de révolte chez le poète.

La courte analyse de ces quelques problèmes permet de mieux comprendre l’état d’esprit et les angoisses du célèbre poète. Ainsi, il est dur de retranscrire la puissance des vers de Baudelaire dans une traduction 'transcréé', on peut y perdre la dimension mystérieuse et complexe si caractéristique du poète. C’est pourquoi le traducteur littéraire doit constamment enrichir sa culture pour réussir à retranscrire les vers poétiques.